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DE L’IMAGINATION

réalise difficilement puisqu’il est sans cesse en agitation et en rumeur. Mais, à certains moments, les arts se rapprochent et diffusent l’un vers l’autre. C’est ainsi que les drames d’Ibsen, avec leurs personnages longuement silencieux, si préoccupés des regards, du fugitif des choses et de l’immuable d’eux-mêmes, ne sont pas sans rapports avec les tableaux de la grande époque hollandaise, lesquels sont l’apothéose de la vie intime et intérieure, dont quelques-uns renferment une telle somme de tragique.

C’est lorsqu’on lui donne peu de matériaux, mais ordonnés et sincères, que l’imagination se surexcite le plus vivement. Est-il dans tout le théâtre moderne une scène plus impressionnante que cette réunion de drapiers, que ce conciliabule de régentes autour d’une table ? Que discutent ces hommes à têtes de chats, ces vieilles à têtes de fouines, nous l’ignorons. Ce qui nous émeut, c’est l’expression de leurs visages. Malgré leur mutisme, une quantité de paroles profondes, un dialogue à la Shakespeare nous paraissent sortir de leurs bouches aux lèvres minces et roses.

Mon père. — C’est un pareil dramatique que nous impose la vie courante par les rapides spectacles de la rue ou de la campagne. Un vieux qui lit à une fenêtre ou à un balcon, une vieille qui greffe ses rosiers, un jeune homme ou une jeune