Page:Léon Daudet – Alphonse Daudet.pdf/264

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
250
DE L’IMAGINATION

il demeure impersonnel, et cette vie est recouverte d’un glacis où le vestige laborieux n’est plus visible.

Que l’on s’approche, au contraire, des Fileuses de Velasquez. Ce qu’un cerveau d’homme de génie renferme de brutalité dirigée, de véhémence subtile, d’audace domptée éclate aux regards par la furie du pinceau, la frénésie des empâtements, les jets brusques de gris, de rose, de noir, de ces couleurs ardentes et mates dont il emporta le secret. Une hallucination s’empare de vous en présence de cette fougue glorieuse. On croit voir travailler l’artiste. On croit le voir tracer une main qui tourne en cinq coups de pinceau, jeter une broderie par quelques raclements du couteau, enfermer dans une perle le reflet d’une figure, dans une figure le reflet d’une race.

Voilà-t-il pas, nettes et décisives, deux formes d’art distinctes, deux inspirations opposites ? Lorsque Rembrandt eut achevé le portrait de sa mère, Rembrandt disparut. Dans la toile des Fileuses, Velasquez est toujours présent. Il livre ses secrets et semble défier ses successeurs.

Mon père. — D’après ceci, son imagination se rapprocherait plutôt de celle de Franz Hals, dont la fougue est aussi apparente. Je me rappelle une salle à manger entièrement tapissée des panneaux de ce peintre. C’était la vie même.