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DE L’IMAGINATION

Mon père. — Chez ceux qu’a touchés le génie, ces sensations sont un perpétuel trésor. Vois-les, Gœthe, Hugo, Chateaubriand, Renan, tourner la tête en arrière, avec un sourire mélancolique. Vois-les se courber sur leur berceau. Mais, au plus intime d’eux-mêmes, il est des régions inexplorées d’où leur montent de singuliers rêves. Ce qu’avaient touché leurs petites mains, ce qu’avaient vu leurs yeux, tout cela les hante et nous hante. Leurs plus belles pages sont mouillées de jeunesse.

L’imagination d’ailleurs va sonder les zones inconscientes. Dans les ténèbres de notre âme elle plonge et ramène des songes miraculeux, ce qui nous frôla, ce qui nous tenta, ce qui nous troubla surtout, quand nous faisions l’essai de nos sens et que nous comprenions quelques-unes des formes du vaste monde.

Moi. — La première fois que je feuilletai la Manyouta d’Hokousaï, ces admirables albums où s’est : essayé le génie du plus impressionnable des dessinateurs, j’ai eu l’intuition de ces formes errantes. Gœthe disait que noire imagination ne pouvait tracer aucune ligne, aucune apparence, qui n’existât dans la vie, à l’état de réel ou de possible. Il semblerait vraiment qu’Hokousaï ait puisé, autant en lui-même que dans l’immense réservoir de la nature, cette foule troublante