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DE L’IMAGINATION

dinaire empreinte des images qu’ils eurent dès l’enfance sous les yeux ? Pénétrant leurs cerveaux à l’époque où ceux-ci étaient les plus impressionnables, elles en devinrent partie intégrante, elles se développèrent avec eux. La mer, le ciel, les forêts, les montagnes, voilà leurs perspectives naturelles, les horizons qui ne se perdront plus. Ils se sont insinués en eux par la lente attention du jeune âge, ou dans ces minutes d’exaltation sensible qui sont la vie profonde de l’individu. Tel nuage, telle nuance de l’eau, telle forme d’arbre, de fleuve ou de plaine sont les fantômes qui les hanteront, et donneront à leur œuvre cette majesté, cette grave apparence qui n’appartient, hors d’eux, qu’à la nature. Confidents des secrets sublimes que les choses chuchotent à l’enfant, ils conserveront, devenus hommes, l’éternelle majesté des espaces.

Ainsi la phrase de Chateaubriand s’ouvre sur des horizons qui nous troublent. Ainsi celle de Victor Hugo participe à la rosée matinale, subit la lourde chaleur du midi, s’endort dans l’or du crépuscule. Ce qu’avaient contemplé les petits yeux, dans la fièvre et les mirages de la croissance, cela s’agrandit avec les années. Les images appellent les images. Il apparaît d’abord, dans le vague tourbillon de la mémoire, ce coteau rose où descendait l’ombre. La mélancolie de cette