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DE L’IMAGINATION

du désir, voici la beauté source et gage de douleur. Beauté, Désir, Douleur, trois stimulants de la sensibilité, que l’imagination apaise, éteint, entraîne dans ses profondeurs.

Il est des heures dans la vie où les raisons des choses semblent sur le point de nous apparaître, où, penchés sur nous-mêmes, nous apercevons nos profonds rouages et l’éclair luisant de nos machines.

Te rappelles-tu, il y a sept ou huit ans, certaine visite à Mistral, en Provence ? Nous avions passé une journée admirable, dans la lumière et la poésie et le grand créateur de rêves nous avait grisés de son verbe, autant que d’un vin merveilleux. Vers la tombée du crépuscule, on prit le chemin de Tarascon. C’était l’époque des vendanges. Des voitures lentes frôlaient notre rapide voiture, chargées de travailleurs aux fiers visages et de filles d’une souplesse païenne. Comme toutes ces faces étaient blêmes, au-dessus de la route blême au-dessous d’un ciel exaspérément rose, où flottaient des vapeurs tièdes ! Aux croix, les vendangeurs avaient pendu des grappes, offrande antique. L’allégresse, la force et la joie du travail s’harmonisaient dans cet air léger, tellement que cela devint glorieux et que nos yeux se mouillèrent de larmes, comme quand la beauté lève brusquement ses voiles… (Un silence. Après réflexion.) C’était