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DE L’IMAGINATION

sédons une philosophie moderne, qui satisfasse notre culture présente.

Mon père. — Tu m’expliques le peu d’intérêt qu’a pour moi la philosophie. J’ai beau m’appliquer, me contraindre, je bâille devant la raison pure, et les formules de Spinoza m’ont toujours donné l’impression d’un musée de squelettes.

Moi. — Parce que tu es un sensitif complet, conscient et sincère. Ce que tu voudrais trouver dans un ouvrage de philosophie, c’est une tentative d’explication sur ces mystérieux éclairs de la sensibilité, ces fugitives apparences qui, au milieu même d’une émotion, nous font entrevoir une émotion contraire. Carlyle, Emerson, Novalis, Maeterlinck, voilà de merveilleux rêveurs ; et très souvent, sur leurs rêveries intenses et mêlées de fièvre intellectuelle, sautillent et dansent les feux volants des marécages. Mais, pour s’être rapprochés de la sensibilité contemporaine, ils ne la possèdent pas encore. Ce serait un ouvrage difficile à écrire que cet essai sur les états sensibles de la conscience.

Il est certain qu’on l’écrira. Il sortira du désir universel comme en sortent toutes les œuvres belles et nécessaires, qui sont les filles du temps et de l’énervement. De même qu’autour de nos états raffinés de la sensation (il faut bien des mots neufs pour des idées neuves) flotte une sorte de