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L’EXEMPLE FAMILIER

rice et, en général, les oppositions de caractères. »

Même dans la maladie, alors qu’un bras et une canne lui devinrent nécessaires, la démarche de mon père garda une noblesse, une élégance, un air de braver la douleur. Sa couverture sur l’épaule, à la provençale, il redressait la tête en arrière, aspirant la lumière du soleil, et ses yeux remerciaient la vie des joies qu’elle lui laissait encore. Sa tendresse se manifestait par de courtes haltes, un sourire : « Reposons-nous sur ce petit banc », une reprise courageuse de l’être. Quand l’automne secoue les feuilles mortes, il aimait à fouler cette parure, éparpillant les souvenirs dorés, jouissant des heures brèves et mélancoliques… Sur la terrasse de Champrosay, ses enfants blottis contre ses genoux, près de sa femme, dont la présence exalte en lui toute beauté intellectuelle ou morale, il savoure le fracas de l’orage et conte une « belle histoire de peur », tandis que l’horizon s’éclaire de lueurs soudaines.

Depuis le progrès de sa maladie, il sortait peu le soir. Il fallait une circonstance exceptionnelle pour le décider. Cependant, il aimait le monde, la société, et la présence d’étrangers lui était bonne, l’arrachait à ses souffrances.

La répétition générale de Sapho, à l’Opéra-Comique, fut une de ses ultimes distractions. Il portait le plus vif intérêt à la mise en scène de