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HIER ET AUJOURD’HUI

étranges, les destinations les plus imprévues. L’état de mon esprit est double. Je sais que mon père imagine, qu’il tient les fils de l’intrigue, cependant je crois en mon rôle, j’habite avec lui une contrée solitaire qu’éclaire un terrifiant incendie.

Chose douloureuse, plus tard, bien plus tard, il y a un an et demi, alors que j’avais la fièvre typhoïde, que mon père me veillait chaque nuit, ma pauvre tête vague et flottante ranimait ces souvenirs lointain ; telle qu’une convalescente infirme, ma mémoire s’en allait cueillir ces fleurs de mon extrême jeunesse. Je refaisais la route des années et je considérais avec une inexprimable tendresse le beau visage tourné vers moi sous la lueur de la lampe. Il ne me semblait point changé.

Souvent il m’a rappelé depuis nos promenades dans les champs à mi-côte qui forment la vallée de Champrosay. Pieux chemins, chemins de mon cœur ! J’avais quatre ans à peine. Mon père me tenait par la main. Je me figurais le guider et je lui répétais sans cesse : « Prenez garde, papa, aux petites pierres. » Depuis, ô destinée, il eut besoin de mon bras d’homme ! L’on passait par les mêmes sentiers, devenus doucement mélancoliques. Par les prés, les plaines de l’automne, dont