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ALPHONSE DAUDET

Ce que l’observation lui apportait de cruel, ce que l’imagination lui suggérait d’âpre, de véhément, de terrible, était adouci, tempéré par la tiédeur dorée de Provence, ramené aux horizons purs, harmonisé selon ces lignes qui, depuis l’antiquité classique, furent directrices de la sagesse humaine.

Ce sens merveilleux de la mesure est la sauvegarde de l’esprit. Celui qui descend en soi-même, et que ne retient point l’amour de l’harmonie, s’enfonce bientôt dans d’épaisses ténèbres. Il est inintelligible. Il perd tout pouvoir d’enseignement. Ce fil conducteur est peu de chose. Il aurait rendu immortelles des œuvres telles que le Peer Gynt d’Ibsen par exemple. La multiplicité des interprétations possibles est, à coup sûr, un signe de faiblesse. Le poème devient une sorte de jeu, de labyrinthe, où s’exerce la sagacité du lecteur. La brève excitation qu’il procure ne vaut point un souvenir clair.

Sur ce sujet, mon père était tranquille. La pensée française, selon lui, demeurerait, en dépit de quelques rares écarts, amoureuse du limpide et du vrai et fidèle à ses origines. Il admirait certaines pièces d’Ibsen, pas toutes, car il en est dont le symbolisme lui semblait enfantin et trompeur. Dans le sarcasme septentrional du Canard sauvage, par exemple, il retrouvait le rire de caout-