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NORD ET MIDI

tion, à la logique, se perd pour nous dans les brumes. »

Puis, suivant sa méthode, il descendait de ces régions extrêmes vers des observations comiques ou touchantes, capables de faire aimer le réel.

« Violent et timide, » ces mots reviennent plusieurs fois dans les petits cahiers. Mon père avait recueilli un grand nombre d’exemples de ces « sentiments accouplés » qui, expliquait-il, se contrebalancent dans le caractère et donnent aux actions un cachet souvent contradictoire :

« Le timide accumule lentement des impressions pénibles de toute sorte. Il est entré, dans un magasin, n’a pas su demander ce qu’il voulait, ou bien, gêné par son accent méridional, s’est laissé fourrer dans les mains la moitié de l’étalage. Il a rencontré un ami dont la conversation l’a blessé et à qui il n’a su le dire. Il aurait voulu prendre un fiacre, mais il n’a pas osé faire les gestes ou signaux nécessaires.

« Le voilà rentré chez lui, tranquille entre sa femme et ses petits. À la moindre observation, la chaudière éclate. Il s’emporte, jette les plats en l’air. La sauce dégouline, les enfants hurlent, les domestiques s’épouvantent. C’est la crise. Elle cesse aussi brusquement qu’elle avait commencé, dans des larmes, des regrets, des promesses, des transports de tendresse et d’amour. Parfois, notre