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ALPHONSE DAUDET

et le plus naturellement du monde, son malicieux interlocuteur lui contait l’apologue suivant : « Un rat plein de suffisance, donc envieux, alla rendre visite à un autre rat, lequel venait de s’empoisonner. L’infortuné se tordait de coliques dans son magnifique domaine. En face de lui, le visiteur souffrait de tranchées plus épouvantables encore, causées par son désespoir devant de telles splendeurs. Vous semblez jaune ! — Moi, non, ce n’est rien. L’on est si bien ici. Mais vous-même ?Oh ! moi, je me porte à merveille, je vous assure. Ils expiraient ainsi en face l’un de l’autre, et l’envieux mourait le premier. »

Pendant ce récit, je m’amusais fort de la mine indécise du visiteur qui ne comprenait qu’à moitié. Lui parti, mon père riait de bon cœur : « Le cher garçon souhaite ma mort. Son exclamation habituelle est : Comment, vous travaillez ! Ne trouves-tu pas que le moi est chez lui une véritable bosse ? Ah la jolie étude, et gaie et, française, qu’il y aurait à écrire sur ses pareils et les envieux ! L’un de ces damnés m’avouait un jour, avec une contraction de toute la face : Vous ne savez pas comme ça fait mal. Celui-là jouissait positivement du récit détaillé de mes douleurs. Je m’en aperçus. Je l’en privai et, dès lors, il me prit en grippe. Il était à la tête d’une administration très importante, une sorte d’autocrate. Ses