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ALPHONSE DAUDET

narrateur, depuis ses passions jusqu’à sa myopie, jusqu’à une chaussure trop étroite, lutte contre son désir d’être un témoin fidèle. Voyez le plus petit fait, le plus mince épisode. Comme il se déforme en une seconde ! Comme il prend une autre tournure dans la bouche de l’un ou de l’autre ! Rappelez-vous le conte symbolique d’Edgard Poe, le Double assassinat de la rue Morgue, les multiples interprétations des auditeurs. »

Il s’amusait à distribuer par avance la besogne dans la Revue de Champrosay : « De Champrosay, c’est-à-dire que je ne subirais point la pression de Paris, de l’optique de Paris ; que je tâcherais de classer les événements selon leur importance. À un tel, qui a de bons yeux, du jugement et le don du style, je confierais les tribunaux ; à tel autre, qui a des facultés humoristiques, la Chambre. Beaucoup perdent leur force dans des contes, des fictions imaginatives, qui, appuyés par le réel, acquerraient une vigueur imprévue. Surtout je voudrais que ma revue fût vivante, qu’elle apportât au lecteur la sensation d’un « organisme en activité ». Je voudrais payer mes collaborateurs largement, pour les libérer du souci d’argent, et pouvoir beaucoup exiger d’eux. Je ne ferais point un périodique dogmatique, parce que je redoute le mensonge convaincu, mais je donnerais la parole à toute opinion éloquente. »