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LE MARCHAND DE BONHEUR

incomparable, car toute sa sensibilité se mettait en branle. L’amour de sa Provence lui montait aux lèvres :

« Sache-le, Léon, le marchand de bonheur, je le suis, lorsqu’au jeune homme qui vient me voir, arrogant ou timide, son petit volume à la main, je dis : « De quel pays ? — De là…. Monsieur. — Il y a longtemps que vous avez quitté la maison et les vieux ? — Tant de temps. — Y retournerez-vous ? — Je ne sais. — Pourquoi pas tout de suite, maintenant que vous avez tâté de Paris ! Sont-ils pauvres ? — Oh non ! Monsieur, dans l’aisance. — Alors, fuyez, malheureux. Je vous vois indécis, jeune, impressionnable. Je ne crois pas qu’il y ait en vous, actuellement, cette énergie d’un Balzac qui bouillonne et fermente dans sa mansarde. Écoutez mon conseil, vous me remercierez plus tard. Rentrez au bercail. Faites-vous une solitude dans un coin de la maison ou de la ferme. Promenez-vous dans votre mémoire. Les souvenirs d’enfance sont la source vive et non empoisonnée de tous ceux qui ne possèdent pas un pouvoir d’évocation magistral. D’ailleurs, vous verrez… Vous avez le temps… Faites causer ceux qui vous entourent, les fermiers, les chasseurs, les filles, les vieux, les vagabonds. Laissez cela se rejoindre. Et, si vous avez du talent, vous écrirez un livre personnel, qui aura votre marque, qui