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ALPHONSE DAUDET

bien vu quand il vint à Pézenas. Argan, c’est Orgon prononcé à la provençale, et Orgon se retrouve dans Tartufe. On devrait jouer le Malade avec l’accent de chez nous. Ce serait d’un comique irrésistible. »

Par ces discours, et par bien d’autres, par son exemple et sa verve, mon père ragaillardissait les malheureux en ce triste pays, que, remonté dans sa chambre, il comparait à l’Enfer de Dante, tellement l’on y trouvait des échantillons de tous les supplices. Et cette action en partie double, d’observateur et de consolateur, est l’image fidèle de sa nature.

On pense qu’il s’intéressait aux illustres patients d’autrefois. Il connaissait à fond la maladie de Pascal, celle de Rousseau, celle de Montaigne, celle plus proche de Henri Heine. Mais il se gardait soigneusement des hypothèses saugrenues où se sont rués nos plus récents psychologues et l’assimilation du génie à la folie, par exemple, lui faisait lever les épaules.

L’alliance de la pitié et de la douleur était pour lui un thème incessant : « Celui qui n’a pas eu faim, qui n’a pas eu froid, qui n’a pas souffert, ne peut parler ni du froid, ni de la faim, ni de la souffrance. Il ne sait même pas très bien ce que c’est que le pain, ce que c’est que le feu, ce que c’est que la résignation. Dans la première partie de