Page:Léon Daudet – Alphonse Daudet.pdf/105

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
91
LE MARCHAND DE BONHEUR

lade par le spectacle de ses congénères, immanquable argument de l’égoïsme, et, de là, il s’élève peu à peu vers l’image d’une destinée réduite, mais noble cependant, si elle sait s’employer, sécher les larmes autour d’elle, consoler en se consolant. Placer le but hors de soi-même, placer l’idéal hors de soi-même, c’est échapper un peu au Fatum. »

Que de fois, entrant à l’improviste dans son cabinet de travail, j’ai surpris des attitudes angoissées, interrompu des confidences que je devinais graves et pressantes ! Si on ne lui demandait le secret, mon ami, ensuite, m’exposait le cas, les difficultés pour lesquelles il cherchait dès lors la solution la plus simple, la plus « humaine ».

Lorsque je lui disais : « Sois marchand de bonheur pour toi-même », il répondait : « Mon existence est un effort journalier. J’ai la plus grande confiance dans ces minimes essais de ma volonté qui me font me lever à une heure fixe, me mettre à ma table malgré mes souffrances, dédaigner mon mal, le braver. Imagine-toi cette torture du cercle qui se rétrécit peu à peu, des impossibilités successives. Qu’il est vrai le mot navré de la coquette à son miroir : Dire que je regretterai cela demain ! Eh bien, les innombrables charges d’un père de famille, les soucis de la