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disgrâce. Joffre ou Pétain ? Dans le hall du Palais d’Orsay, vers dix heures du soir, il me demande de téléphoner à Painlevé pour percer le mystère, car Painlevé doit voir les généraux à un Conseil de Défense. Le lendemain matin 17, Painlevé me promet de chercher. D’après ce qu’on en dit au Conseil, il pense bien que c’est Pétain. Et cela révolte Loti. Car Pétain lui a dit, au moment où il quittait Verdun : « Vous resterez avec moi si vous voulez. Vous êtes chez vous chez moi. » Et il lui aurait dit cela après avoir déjà signé son renvoi ?… Oh ! Loti s’en méfiait. Il me dit : « Il a un mauvais œil, cet homme-là. »

— Rentrant des Vosges et d’Alsace, Painlevé a vu Franchet d’Espérey qui commande un des trois groupes d’armées et qui lui a fait bonne impression. À la Marne, ce général aurait voulu retarder de 24 heures l’offensive, afin de laisser s’engager Von Kluck et le couper.

— Les gares de l’Est et du Nord sont le théâtre des scènes les plus pathétiques. Le père qui accompagne son fils sous-lieutenant, ces deux hommes qui ne parviennent pas à se séparer, s’étreignent, se quittent, se reprennent encore. Ou l’adjudant et sa compagne assis sur un banc, mains liées, absents du monde… C’est peut-être là que se jouent les plus affreux drames. C’est là que se fait la brisure entre les êtres qui s’aiment, là qu’est sensible, visible, l’arrachement, peut-être éternel. Les morts ne savent pas qu’ils sont morts. La souffrance qui continue après la mort, c’est celle des survivants. Et c’est là, dans ces gares, qu’on voit se quitter ceux qui vont mourir et ceux qui les pleureront.

— Une fois de plus, la France est sauvée ! Des gardes municipaux, semés par les rues, interdisent à tout homme en soldat de lire un journal.