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hommes revenant du front apportent une mentalité de coloniaux en congé, une soif impatiente de plaisir sans frein. Et cette fièvre gagne toute la ville.

— On veut avancer l’heure, pour mieux adapter la journée de travail à la journée solaire et économiser ainsi du luminaire. La résistance viendrait en particulier des Compagnies d’électricité qui, fournissant moins, gagneraient moins. Il y a aussi le patriote, qui ne veut pas avoir la même heure que l’Europe centrale, l’heure de Berlin !

— Les gens qui vont au cinéma disent que les vues du front sont accueillies par le silence. À propos du cinéma, notons que la moitié de Paris courut voir un film américain, Les Mystères de New-York, qui a duré des mois. À table, on parlait des héros de ces aventures comme de vieilles connaissances.

— Quand on reprit partiellement le village de Vaux, une cuisinière, ayant lu le communiqué, courut à sa patronne : « Madame ! madame, on a repris un morceau de Vaux ! »

— Le 11. Accambray, maintenant, croit à deux ans de guerre. Il paraît que c’est nécessaire pour refaire l’Europe. La victoire doit sortir de l’excès de la souffrance. J’objecte que la France, dont la natalité a baissé de moitié depuis la guerre, est en train de s’anémier. On me répond qu’il faut manger son capital pour ne pas être mangé. Car on ne doute plus que nous étions menacés d’être mangés. Hypnotisé par la frontière, le patriote n’envisage plus les autres maux qui menacent son pays.

— M… du groupe Baudin, Lapauze, etc., vient me voir. Il est partisan de la guerre à outrance, aboutissant à la défaite de l’Allemagne, « sans quoi la planète ne serait plus habitable ». J’observe qu’avant la guerre, il menait une vie agréable, sans