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Celui-ci dit qu’il sait pourquoi Von Kluck a renoncé à marcher sur Paris. On lui a dit : « Faites attention. Il y a là 300.000 embusqués. Ce sont les plus beaux gars de France. »

— Le 5. C… m’apprend le remplacement de d’Amade par Gouraud aux Dardanelles. Il prédit un rapprochement franco-allemand dans 10 ou 15 ans. Je ne puis y croire, malgré tant de palinodies dans l’histoire des peuples, qui tour à tour se détestent et s’adorent. Cette fois, il y a un tel déluge de haine, ce réservoir de rancune empli en 44 ans, et qui crève…

— Bouttieaux me cite l’opinion du commandant D…, qui dit qu’on ne sortira jamais des tranchées. Et cependant Joffre, le 1er mai, a encore promis à Étienne la fin en septembre !

De Joffre, Bouttieaux dit qu’il s’est laissé mener par les événements. Il lui donne un court crédit.

— Le petit-fils de mes concierges est resté à Ham. Après neuf mois, ils apprennent que tout va bien. Occupation modérée. On n’a fusillé qu’un épicier, qui avait gardé des pigeons, malgré l’ordre de les supprimer. (Par crainte des pigeons-voyageurs.) Il les cache dans sa cave. Ils roucoulaient. On l’exécuta.

— 6 mai. Visite de Tristan Bernard. Nous parlons des gaz asphyxiants, qui expliquent le recul sur Ypres. Il les compare à ces gaz insensibilisants qu’emploient les dentistes : ils endorment la douleur d’un échec. Il voudrait que la censure fût, non seulement négative, mais positive, qu’elle dirigeât l’opinion dans des voies claires, loin du pessimisme et de l’optimisme béat.

— À Paris, les gens voient, sans ennui, la perspective d’un deuxième hiver. Ils y trouvent un facile héroïsme. C’est fou.