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un groupe social donné. Les caractères d’extériorité à l’individu et de coercition par lesquels M. Durkheim définit le fait social apparaissent donc dans le langage avec la dernière évidence.

Néanmoins la linguistique est demeurée jusqu’à présent à l’écart de l’ensemble des études sociologiques qui se constituent si activement, et, ce qui est plus grave, étrangère presque à toute considération systématique du milieu social où se développent les langues. Cet état de choses, au premier abord surprenant et paradoxal, s’explique quand on se rend compte de la manière dont s’est créée la linguistique ; les langues ne sont pas étudiées d’ordinaire pour elles-mêmes ; toutes les fois qu’on les a étudiées, ç’a a été en vue de la récitation correcte d’un rituel religieux, ou de l’intelligence de vieux textes religieux ou juridiques, ou pour entendre des langues étrangères, ou enfin pour parler ou écrire correctement la langue d’un grand groupe social, devenue différente de la langue de tous les jours et surtout de celle des diverses parties du groupe ; on n’étudie que les langues qu’on ne parle pas naturellement, et pour arriver à les pratiquer. L’objet premier de l’étude linguistique a été partout une pratique, et l’on a été conduit ainsi à envisager, non pas les procès par lesquels se développent les langues, mais les faits concrets : la prononciation, les mots, les formes grammaticales et les agencements de phrases. La linguistique y a gagné d’être une étude strictement objective et méthodiquement poursuivie, en un temps où la plupart des autres sciences sociales n’existaient pas ou bien n’étaient encore que de vagues idéologies, mais tout ce que l’on peut obtenir si l’on ne sort pas de cette considération étroite des faits de langue, c’est de constater des rapports plus ou moins définis de simultanéité ou de succession entre ces faits sans jamais arriver à déterminer quelles sont les conditions générales qui en règlent l’apparition et le devenir, c’est-à-dire sans en jamais déterminer les causes.

Un grand pas a été fait, et la linguistique a déjà échappé aux limites de l’ancienne grammaire, quand on s’est attaché à définir d’une part, les conditions anatomiques et physiologiques de l’articulation, de l’autre les phénomènes psychiques qui interviennent dans le langage humain. Par là on parvient à se rendre compte de la raison d’être d’un grand nombre de faits linguistiques qui relèvent immédiatement ou de la physiologie ou de la psychologie. Mais dès l’abord il apparaît