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toute prévision de l’avenir, au moins quand on voulait s’exprimer d’une manière noble ; déjà dans la tragédie latine auguror est employé pour signifier « je m’attends à » ; plus l’auguration devenait un simple rite auquel on attribuait moins de foi, et plus ces mots se limitaient au sens de prévision de l’avenir que le triomphe du christianisme rendait enfin le seul possible : c’est celui que présentent les mots romans issus de auguror (prononcé aguror en latin vulgaire), par exemple espagnol agorar signifie « prévoir, s’attendre à », les mots bonum agurium, malum agurium ont abouti de leur côté à français boneür, maleür, d’où bonheur, malheur, qui, entrant tout à fait dans la langue commune, n’ont pas gardé trace même du sens ancien de « prévision », « attente de l’avenir » : le mot (h)eur, issu d’agurium, a pris à lui seul le sens de bonheur par opposition à malum agurium, d’où le dérivé heureux, qu’on applique à tout événement agréable, à toute personne favorisée du sort, et même à tout ce qui est réussi. Entièrement séparé de son sens étymologique par des circonstances linguistiques, puis historiques, augurium a abouti ainsi en français à un sens très vague par suite du passage du mot de la langue des magistrats romains dans celle de cercles de plus en plus étendus.

Le mot hospitale « lieu où l’on reçoit des hôtes » s’est trouvé séparé du mot hospes dont il est dérivé en latin ; en effet le suffixe -ale a cessé d’être productif ; il n’y a donc presque plus rien eu de commun en français ancien entre oste et ostel ; le mot ostel a été appliqué dans certains groupes d’individus à désigner la grande maison où ils recevaient l’hospitalité, où ils étaient hébergés ; cette grande maison peut être suivant les cas un hôtel-dieu, où l’on reçoit des malades et des infirmes (c’est aussi le sens de l’italien ospedale spedale), une maison de ville ou hôtel de ville, un hôtel de voyageurs, ou une grande maison particulière. De ces sens particuliers, deux ont survécu et ont passé dans la langue commune en s’isolant de plus en plus l’un de l’autre, celui d’hôtel de voyageurs, qui a fourni les dérivés hôtelier, hôtellerie, etc., et celui d’hôtel particulier ; en ce dernier cas, ce mot a pris dans la bourgeoisie parisienne du xixe siècle un sens tout particulier : celui de maison séparée consacrée à une seule famille, par opposition aux maisons de rapport, divisées en appartements séparés, et louées à des locataires différents ; et dès lors, on a pu habiter un petit hôtel, c’est-à-dire une petite maison