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teter sur la Vie des mots est encore tout dominé par ces conceptions.

Mais M. M. Bréal, dans un compte rendu, a fait dès l’abord remarquer ce qu’il y a de scolastique dans ce procédé et a mis en évidence les réalités psychiques et sociales qui se cachent sous ces abstractions (voir l’article sur l’Histoire des mots, reproduit dans l’Essai de sémantique, 3e édition, p. 279 et suiv.). Depuis, ces observations ont été reprises par M. Bréal dans son Essai de sémantique et développées avec la finesse et le sens de la réalité qui caractérisent l’auteur, mais sans recherche d’un système complet et fermé.

D’autre part, et plus récemment, M. Wundt, dans sa Sprache, consacrait aux changements de sens un long chapitre et montrait par quel jeu complexe d’associations et d’aperceptions les mots changent de sens, substituant d’une manière définitive aux subdivisions a priori des logiciens l’examen détaillé de la réalité psychique, et rendant impossible de parler désormais des métaphores du langage d’une manière vague, comme on le fait encore trop souvent. Mais M. Wundt, lui-même, ne conteste pas que l’association est loin de tout expliquer, et il serait aisé de montrer que, si elle est toujours l’élément fondamental des faits psychiques qui interviennent dans les changements de sens, elle n’est nulle part la cause efficiente qui les détermine ; ce qui fait que les études sur le développement du sens des mots, malgré de nombreuses tentatives, n’ont pas encore abouti à une théorie complète, c’est qu’on a voulu deviner les faits et qu’on ne s’astreint pas à suivre l’histoire des mots, et à tirer de l’examen de cette histoire des principes généraux fixes ; or, nulle part moins qu’en sémantique, on ne peut déterminer a priori les conditions de production des phénomènes ; car en aucune partie de la linguistique les conditions ne sont plus complexes, plus multiples et plus variées suivant les cas.

Néanmoins, il est permis de dire que, si, faute de renseignements suffisants, il est souvent — et peut-être même le plus souvent — impossible de déterminer les conditions d’un changement de sens particulier, les causes générales de ces changements sont maintenant connues pour l’ensemble, et il suffit de classer systématiquement les faits observés et les explications certaines qu’on en a trouvées, pour reconnaître que, sous le nom de changements de sens, on réunit des