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peuple. Il doit se cacher derrière un voile d’illusions brodé de promesses, et il doit être muni d’une « prise » mentale, fort simple, qui permette à un esprit ordinaire de le saisir facilement. Je n’ai pas l’intention de proposer ici l’essai d’un relevé de toutes ces illusions et de tous ces outillages ; en démontrant toute leur nécessité, j’ai fait assez. Ce qui suit prouvera simplement ce que j’ai déjà exposé.

L’illusion dramatique du socialisme est celle qui consiste à représenter la classe ouvrière comme des personnages héroïques vertueux, victimes d’un vilain appelé « le capitaliste », et endurant d’atroces souffrances dans une lutte chevaleresque. Le dénouement est heureux pour eux et nous laisse entrevoir avant la tombée du rideau un avenir de bonheur sans nuage, tandis que le vilain paie chèrement ses crimes. Dans ce drame, le prolétaire trouve d’une part quelqu’un à aimer, à qui donner sa sympathie, à provoquer, qu’il identifie avec lui-même, et d’autre part, quelqu’un à détester, à qui il se sent supérieur, qu’il peut identifier avec la tyrannie sociale dont il souffre.

Le socialisme est ainsi représenté par les orateurs et conférenciers, exactement comme la vie est représentée sur la scène d’un théâtre populaire quelconque, faussement et conventionnellement, mais de la seule manière qui puisse éveiller l’intérêt du public.

L’illusion religieuse est intimement liée à l’illusion dramatique et semblable à elle au fond. Cette illusion représente le socialisme arrivant, à son apogée par un grand jour de colère appelé « La Révolution » dans lequel le capitalisme, le commercialisme, la concurrence et toutes les convoitises de la Bourse seront mis en jugement et condamnés, laissant le monde libre pour le royaume des cieux sur la terre. Tout cela est annoncé dans un livre infaillible d’un grand prophète et d’un grand chef. Dans cette illusion, le capitaliste n’est plus un vilain de drame, mais le diable lui-même ; le socialisme n’est plus l’heureuse fin du drame, mais le ciel même ; et Le Capital de Karl Marx est la « Bible des classes ouvrières ». L’ouvrier qui s’est séparé de l’Église établie ou des différentes sectes par la propagande séculariste, et qui, comme agnostique ou comme athée reconnu, nie énergiquement ou ridiculise avec mépris les croyances courantes du ciel, du diable et de la bible, retournera avec le plus grand soulagement et le plus grand empressement à ses vieilles habitudes de pensée et d’imagination, quand elles réapparaîtront sous cette forme séculière. Le chrétien qui voit l’aspect surnaturel de sa foi lui échapper, le retrouve dans ce qui lui semble un aspect parfaitement naturel, dans le socialisme chrétien.

Un drame populaire doit contenir de nombreux incidents sensationnels, combats, épreuves, complots, sauvetage, etc. On en trouve en abondance dans l’histoire du socialisme révolutionnaire, qui a été racontée d’une manière aussi romanesque que n’importe quelle autre histoire. Ce que les incidents sont au drame, les persécutions et les régénérations qui sauvent le sont à la religion. C’est pourquoi nous avons, dans l’illusion religieuse du socialisme, une exploitation libérale des calamités des martyrs exilés, emprisonnés et menés à l’échafaud pour « la cause ». On nous montre la transformation de l’individu, le visage transfiguré, illuminé, l’accroissement soudain du respect de soi-même,