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temps qu’une certaine dose de force musculaire. Si son travail quotidien n’exige pas toute sa force musculaire, il qualifie son occupation de « sédentaire » et il emploie le surplus de sa force en se « donnant de l’exercice » dans la soirée. Si sa besogne n’exige pas toutes ses capacités intellectuelles, il s’amuse avec des rébus ou des jeux d’adresse ou la lecture de traités quelconques.

Considérez maintenant, je vous prie, ce fait que l’intelligence ne peut agir par elle-même, pas plus que les muscles ne le peuvent. Quand un homme embrasse une femme, cette action est purement musculaire, cependant chacun sait que cela n’arrive que lorsque l’intention de l’homme est née dans ses sentiments et dans son imagination. L’athlète n’est pas une machine musculaire automatique : il est poussé par la vanité, l’humeur querelleuse, l’émulation et bien d’autres instincts encore. La même chose est vraie pour l’intelligence ; elle ne calcule pas les quantités infinitésimales ni ne joue aux échecs de son propre mouvement ; elle doit être amenée à cette forme particulière d’activité par quelque intention ou quelque caprice de son propriétaire, et cette idée ne peut être éveillée que par un appel à ses sentiments et a son imagination. La seule initiative dont l’intelligence ou les muscles jouissent est celle qui consiste à rendre un homme inquiet de corps et d’esprit jusqu’à ce qu’il les ait, d’une façon ou d’une autre, suffisamment exercés. Nous voyons donc que, quoique la vulgarisation de la science doive s’effectuer en la présentant au sentiment et à l’imagination, sous l’orme de nouvelle ou drame, il en résultera un certain degré de curiosité scientifique, surtout parmi les gens dont le travail quotidien constitue une routine sédentaire qui n’occupe qu’à moitié leur esprit et n’épuise pas leurs forces corporelles, comme le font les durs labeurs manuels dont le résultat est de les endormir à l’instant, au moindre effort intellectuel. C’est pourquoi nous sommes en présence d’une demande générale « d’explications scientifiques ». Ici naît une difficulté très subtile qui ne peut être surmontée que par une nouvelle illusion. « Expliquer une science » signifie la rendre intelligible à la pensée. De même que la science a dû être arrangée sous forme de nouvelle ou de drame pour que le public s’y intéresse suffisamment, de même elle doit être arrangée maintenant sous forme de théorie logique pour que l’esprit humain, quelque bonne volonté qu’il y mette, puisse la saisir ou la comprendre. L’esprit humain est semblable à la main humaine en ce qu’il n’est capable de saisir les choses que si celles-ci ont une forme déterminée. Prenez, par exemple, une simple chaise de bois et demandez à un homme de la soulever. Cet homme la prendra, soit par le dossier, soit par un des barreaux, soit par un des pieds, soit par un côté du siège, et il la soulèvera ainsi plus ou moins aisément. Mais demandez-lui de la soulever par le milieu du siège ; il ne pourra le faire, fût-il même aussi fort qu’un Hercule, tout simplement parce qu’il ne peut saisir une surface unie. Il ne peut que la laisser comme il la trouve et la faire servir à son propre usage en s’asseyant dessus. Maintenant, si au lieu de lui demander d’exercer ses mains sur des chaises, vous lui demandez d’exercer son intelligence sur des sujets de réflexion, vous verrez qu’il est tout aussi nécessaire qu’il ait une « prise » à leur sujet si je puis m’exprimer