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Il n’y avait point de si dures privations qu’il ne s’imposât pour ses élèves. C’était pour fournir à leurs besoins qu’il bornait tous les siens ; c’était pour leur donner des habits, qu’il portait lui-même des vêtemens usés. Enfin, tout ce qu’il possédait était, à ses yeux, comme le patrimoine sacré de ses enfans, et il ne se réservait à lui-même que le plus strict nécessaire.

Dans l’hiver rigoureux de 1788, déjà atteint des infirmités de l’âge, il restait sans feu, et refusait d’acheter du bois, pour ne pas outrepasser la somme modique à laquelle il avait fixé sa dépense annuelle. Toutes les remontrances de ses amis à cet égard avaient été infructueuses. Ses élèves en furent avertis ; les mains jointes et tout en pleurs, ils vinrent se jeter à ses pieds, le conjurant de se conserver du moins pour eux. Ils ne voulurent point le quitter qu’il ne leur eût promis de renoncer à cette cruelle privation, qui alarmait autant qu’elle affligeait leur tendresse. Il céda, non sans peine, à leurs larmes. Long-temps encore après, il se reprochait cette condescendance ; et lorsqu’il voyait sa petite famille l’entourer avec toutes les démonstrations les plus vives d’amour et de vénération : « Mes pauvres enfans, disait-il quelquefois, je vous ai cependant fait tort de cent écus. »