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le chien d’or

rait retenir le malheureux jeune homme ; ni les observations, ni les prières, ni les pleurs ! rien !

— Dieu le garde ! fit elle, d’une voix plaintive. Il est perdu s’il retourne à la ville… deux fois perdu ! Perdu comme gentilhomme ! perdu pour l’amour qu’il rêve !… Cette femme se sert de lui comme d’un instrument, pour arriver à son but infâme, et elle le rejettera indignement ! Pauvre Le Gardeur ! comme il aurait été heureux avec toi, Héloïse ! comme il aurait été heureux !

Elle embrassa les joues pâles et trempées de larmes d’Héloïse et toutes deux, pendant quelques minutes, la tête appuyée sur le même oreiller, gardèrent un silence plein d’amertume.

V.

La nuit était orageuse. Le vent s’était élevé de l’est dans l’après-midi, et le soir, avec la marée montante, il avait doublé de fureur. Il fouettait les fenêtres et les arbres, s’engouffrait dans les cheminées avec un grondement de tonnerre, faisait rendre aux bois tourmentés, des gémissements de cataractes.

La pluie tomba par torrents, comme si le ciel eut voulu laver les souillures de la terre. Les murailles du manoir restaient immobiles comme le roc, et la tempête ne pouvait les ébranler ; cependant, ce vent, cette pluie, ce fracas inouïs causaient de l’effroi aux deux jeunes filles. Elles se serrèrent l’une contre l’autre, comme deux oiseaux dans le nid léger que secoue la bourrasque et elles s’endormirent en priant pour Le Gardeur.

VI.

De Péan avait rempli sa mission fidèlement, mais à regret. Il aurait bien mieux aimé laisser Le Gardeur à Tilly, et il enrageait à la pensée de le voir renouer avec Angélique des relations si heureusement rompues.

Mais c’était sa destinée, sa maudite destinée de bossu, comme il le disait, d’être toujours maltraité