— Je ne dis pas non, de la Corne, mais ces gens de la grande compagnie sont tellement adroits et rusés, qu’il sera bien plus facile de les soupçonner que de les convaincre.
— Ce qui m’étonne, ce n’est pas l’assassinat lui-même, mais c’est le choix de Le Gardeur pour le perpétrer.
— C’est, en effet, quelque chose d’inexplicable. Ils l’ont enivré, paraît-il… et quand un homme n’a plus sa raison, il est souvent plus cruel envers ses amis qu’envers les autres.
— C’est évident ! clama de la Corne, qu’ils l’ont fait boire pour le pousser ensuite à ce crime terrible !
— Je le crois, approuva le gouverneur. Il doit en être ainsi, car il aimait trop Pierre Philibert, son sauveur, pour faire quoi que ce fût qui l’aurait chagriné.
— Ils se chérissaient l’un et l’autre comme des frères, ajouta le vieux soldat. Bigot a pu corrompre les habitudes de Le Gardeur, continua-t-il, mais jamais il n’a pu le dépouiller de son cœur ni de ses sentiments de gentilhomme.
— Il y a dans ce crime, de la Corne, un mystère que je ne puis approfondir, et un autre malheur nous menace peut-être. Nous sommes pourtant assez éprouvés déjà !
— Qu’est-ce donc ? fit de la Corne anxieusement.
— Pierre Philibert arrive ce soir et il y aura duel entre lui et Le Gardeur. Voilà le couronnement de l’infernal complot !
Pierre Philibert est la plus vaillante épée de la Nouvelle-France et il vengera la mort de son père.
XXIV.
De la Corne fit un bond, puis secouant la tête :
— Non ! répliqua il, non, il n’y aura pas de duel ! Le Gardeur offrira sa poitrine au fer de son ami, mais il ne se défendra point… Au reste, il est prisonnier, le malheureux !…
— Nous veillerons sur lui, ajouta le gouverneur,