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le chien d’or

— Le maudit ! grinça-t-il, si je l’écrasais comme par accident !

Et il fouetta son cheval.

Le bourgeois le vit venir et lui cria d’arrêter, mais en vain.

Le cheval de Lantagnac fit un écart et, sans modérer de vitesse, passa sur le malheureux infirme qui roula dans la poussière, la figure tout ensanglantée. Le fer du sabot l’avait frappé au front.

Le Gardeur arrivait, éperonnant sa monture et criant comme un diable de livrer passage.

Le bourgeois comprit le danger. — Pas pour lui, il ne craignait rien ; mais pour le pauvre qui était par terre baignant dans son sang. — Il se précipita pour détourner le cheval.

VIII.

Il ne reconnut pas tout de suite l’imprudent cavalier. Au reste, Le Gardeur était presque méconnaissable, dans l’état d’ivresse et de colère où il se trouvait ; et, lui-même, Le Gardeur ne reconnut pas, non plus, le bourgeois. Il se serait certainement arrêté dans sa course téméraire.

Il devait en être ainsi. La vie du bourgeois Philibert se jouait, ce jour-là, sur l’échiquier du monde où les bons et les mauvais génies se disputent continuellement la vie des mortels. L’esprit du bien perdit ; l’esprit du mal gagna.

On était à l’un de ces points d’intersection où les fils de plusieurs existences se divisent, se croisent, se séparent, pour s’en aller, sans retour, les uns vers la vie, les autres vers la mort ; ceux-ci au bonheur, ceux-là au désespoir.

Le Gardeur fouettait son cheval. Le blessé gisait devant lui, et allait être écrasé. Mais il ne l’avait pas entendu ; il ne l’avait pas vu. Disons-le franchement, si cela peut-être une excuse : il ne l’avait pas vu !

Le bourgeois saisit la bride avec tant d’énergie, que le cheval fit une soudaine volte-face, et se cabra violemment. Le Gardeur faillit tomber.