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le chien d’or

— Je n’ose pas m’approcher de ce coffret, dit-elle, son éclat m’épouvante, son odeur me fait mal.

— Bah ! riposta la Corriveau, l’effet d’une imagination malade, et d’une conscience timorée ! Il faut que vous vous débarrassiez de ces deux choses-là, d’abord, si vous voulez ensuite débarrasser Beaumanoir de votre rivale. L’aqua tofana, entre des mains timides, est doublement dangereuse : elle tue aussi bien celui qui ne sait pas la verser que celui qui la boit dans sa coupe fatale.

II.

Angélique fit un effort pour vaincre sa répugnance ou dompter sa crainte, mais inutilement. Elle ne voulut plus toucher au coffret.

La Corriveau la regarda un peu curieusement, comme si elle se fut défiée de sa faiblesse. Ensuite, elle approcha le coffret et en tira une fiole dorée, couverte de symboles étranges, pas plus grosse que le petit doigt d’un enfant. Ce qu’il y avait dedans brillait comme des diamants au soleil.

Elle l’agita et des millions d’étincelles s’allumèrent soudain dans l’étrange liquide. C’était de l’aqua tofana non diluée, de l’aqua tofana que nulle pitié n’avait tempérée, foudroyante, indestructible. Une fois administrée, c’en était fait de la victime : pas plus d’espoir pour elle que pour l’âme du damné ! Une goutte sur la langue d’un Titan et le Titan serait tombé foudroyé comme par le tonnerre des dieux.

C’était le poison de la colère et de la vengeance qui n’attendent point et bravent la justice du monde. C’est avec ce poison que la Borgia tua les convives qu’elle réunit dans son palais, et que Béatrice Spara dans sa fureur, foudroya la belle Milanaise qui lui avait volé le cœur d’Antonio Exili.

Rarement cette eau formidable était employée pure. Elle servait plutôt de base à une centaine de préparations diverses qui tuaient lentement, pru-