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le chien d’or

ces lieux où tant d’années de votre vie se sont écoulées ? Ne voudrez-vous pas mourir à l’ombre de ce Chien d’Or où vous avez si heureusement vécu ?

Elle baissa la tête un moment, puis la relevant, elle regarda le bourgeois d’une façon singulière.

— Maître, dit-elle, j’ai une chose à vous demander.

— Qu’est-ce donc, bonne dame ? répondit-il.

— N’allez pas au marché demain.

Le bourgeois la regarda tout surpris.

Elle faisait jouer ses aiguilles, et les yeux demi fermés, les lèvres frémissantes, elle semblait contempler quelque chose d’étrange et de douloureux.

— Ô mon maître, reprit-elle, vous ne retournerez jamais en France !… Mais Pierre sera rétabli dans la maison des Philibert !…

Le bourgeois n’ajoutait pas une foi entière à ses rêveries ; il s’en moquait assez souvent. Cependant, il éprouva un malaise alors :

— Je me résigne à tout, répondit-il, et je serai heureux de me sacrifier pour mon fils…

Dame Rochelle joignit les mains et se mit à prier comme pour conjurer un danger prochain.

Le bourgeois la regardait avec une vive attention.

— Un marchand de la Nouvelle-France qui se moque des décrets de l’Intendant, un exilé qui veut rentrer dans ses droits et ses possessions peut s’attendre à bien des contrariétés, observa-t-il, tranquillement ; mais n’anticipons point, et mettons notre confiance en Dieu.

— Et n’allez point au marché, demain, répéta dame Rochelle.

— Voilà qui est drôle, après tout ! répliqua le bourgeois. Quelle est cette fantaisie ?…

Pourquoi n’irais-je pas ? C’est le jour de la saint Martin, et les pauvres vont m’attendre. Si je n’y vais point, plusieurs s’en retourneront les mains vides.

— Ce n’est pas une fantaisie, affirma dame Rochelle, j’ai vu aujourd’hui deux gentilshommes du