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le chien d’or

— Comme on fait son lit on se couche, riposta mère Malheur.

Et elle ajouta :

C’est ce que je dis toujours aux petites curieuses qui viennent me questionner. Et ma foi ! Le proverbe leur plaît assez.

— Les folles ! exclama la Corriveau… j’irai demain soir au château, pour la voir, cette merveilleuse beauté. L’Intendant revient dans deux jours, et il pourrait bien l’éloigner. Vous a-t-elle parlé de lui ?

— Non, Bigot est un diable plus puissant que celui que nous servons ; je le crains.

— Bah ! je ne crains ni le diable ni les hommes. À minuit, mère Malheur ? C’est à minuit qu’elle m’attend !

— Oui, passez par le couloir, dans les voûtes, et allez frapper à la porte de la chambre secrète. Elle vous fera entrer. Mais dites donc, est-elle condamnée ? Ne pouvez-vous pas lui montrer un peu de pitié ?

Mère Malheur éprouvait de la crainte et de la commisération. Le regard angélique de la jeune victime l’avait agitée comme le vent fait d’une feuille sèche.

VI.

— Tiens ! mère Malheur ! riposta la Corriveau, en se moquant, elle a fondu votre vieux cœur de roche ! Qui aurait jamais pensé cela ?

Pourtant, reprit-elle aussitôt, son regard m’a bien amollie pendant une minute, dans le bois de St. Valier.

— Elle n’est pas du tout comme les autres filles que j’ai vues, affirma mère Malheur, pour s’excuser, je gagerais qu’il n’y a pas plus de mauvais esprits dans son âme que dans une église.

— Vous radotez, mère Malheur ! fit la Corriveau en éclatant de rire. Je vais à l’église, moi, et je prie. Mais c’est le diable que j’invoque : et je le vois, derrière l’autel, qui me fait des signes d’encouragement.