Page:Kirby - Le chien d'or, tome II, trad LeMay, 1884.djvu/105

Cette page a été validée par deux contributeurs.
105
le chien d’or

gnome, un rayon, du feu de l’enfer dans les yeux, elle entra dans la forêt.

Ses pieds maudits fouillaient dru et reculaient, avec un bruit sec, les feuilles de pourpre et de safran, tombées des rameaux, pour faire un tapis au sol flétri. Le ciel était d’azur, l’air frais et embaumé, mais pour elle tout paraissait ténèbres. Elle haïssait les beautés de Dieu.

C’était l’été de la St. Martin, l’été des sauvages, comme disent les habitants, et la nature, à la veille de s’endormir dans le tombeau de l’hiver, sous son épais linceul de neige, prodiguait, comme pour se faire regretter davantage, dans une heure de douce ivresse, ses charmes ravissants et ses glorieuses beautés.

Mère Malheur maudissait les rayons de lumière qui jouaient dans les feuillages éclatants, les oiseaux qui chantaient de bonheur, les souffles parfumés qui murmuraient partout, parceque c’était la bonté de Dieu qui faisait descendre ces rayons du ciel, chanter ces oiseaux sur les arbres, courir ces souffles odorants dans l’espace.

Elle arriva enfin, tout essoufflée, à la porte du château, et un cruel sourire parut sur ses lèvres. Ceux qui l’aperçurent d’abord, récitèrent un Ave Maria pour détourner les mauvais sorts de leur tête, et la saluèrent poliment ensuite. Ils n’étaient pas fâchés, car, pour une pièce d’argent, ils sauraient enfin si l’amant est fidèle, si l’insensible se laissera toucher, si la richesse viendra un jour, et mille choses qu’il n’est pas indifférent de connaître.

Dame Tremblay sortait par la porte de derrière du château, comme elle arrivait.

— Sur ma vie ! s’écria-t-elle, c’est la mère Malheur ! Bonjour ! ma vieille âme damnée ! Vous avez deviné que je voulais vous voir, c’est sûr ! Entrez, venez vous reposer. Vous devez être fatiguée, la mère, hormis que vous soyez venue à cheval sur un manche à balai… Entrez, ne vous occupez point de ces jeunesses.