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le chien d’or

VIII.

Le lendemain, mère Malheur se rendait à Beaumanoir. Elle portait, pour mademoiselle de St. Castin, une lettre d’une écriture italienne. Marie Exili avait enseigné l’écriture à sa fille.

Les personnes qui savaient écrire étaient assez rares à cette époque, surtout parmi le peuple. Aussi les gens s’étonnaient assez de trouver cet art chez la Corriveau, et ils supposaient charitablement qu’elle l’avait appris du diable, tout comme elle avait appris de lui à les ensorceler.

Mère Malheur pressentait une cordiale réception. Il y aurait sans doute, tasse de thé agrémenté d’eau-de-vie, et puis évocation des souvenances courts vêtues. En conséquence, elle fit sa grande toilette : Une coiffe avec large dentelle, un chapeau pointu, des boucles d’oreilles, des souliers avec boucles de cuivre, un jupon court et des bas rouges.

Elle partit appuyée sur sa canne. Elle trottait dru. Arrivée sur la grève de la rivière St. Charles, elle appela le passeur qui se hâta de venir.

Le passeur, c’était toujours Jean Le Nocher.

Il fit le signe de la croix, quand elle mit le pied dans son bac, et prenant son aviron, il se hâta de ramer, comme pour avoir fini le plus tôt possible.

Il ne voulut pas accepter de péage, ce n’était pas par galanterie assurément. Babet s’aperçut de cela et elle accourut :

— Payez à moi, mère Malheur, fit-elle, c’est la même chose.

Et elle mit la monnaie dans sa poche en disant à son mari :

— Vous êtes fou, Jean, l’argent ne sent pas mauvais. Au reste, nous le donnerons à l’église et ça le purifiera.

IX.

Mère Malheur était accoutumée au mépris et aux railleries du monde ; cependant, la remarque de Babet