Page:Kirby - Le chien d'or, tome II, trad LeMay, 1884.djvu/10

Cette page a été validée par deux contributeurs.
10
le chien d’or

elle pouvait se mentir à elle-même, comme si elle pouvait tromper l’œil de Dieu !…

— Pourquoi, se disait-elle, pourquoi cette femme s’est-elle trouvée sur mon chemin ? Pourquoi est-elle allée à Beaumanoir ?… Pourquoi Bigot m’a t-il refusé une lettre de cachet ?… je ne lui aurais pas fait de mal à cette étrangère ; je l’aurais seulement envoyée loin d’ici !…

Elle s’assit et demeura silencieuse. L’horloge, dans le calme profond, faisait entendre son tic tac régulier, presque lugubre. Le vent soufflait à la fenêtre, un grillon sous le foyer de pierre jetait son cri monotone ; dans le bois de la cloison, la vrillette invisible tintinnait comme une montre qui aurait marqué les secondes pour les morts. Dehors, la cloche du couvent sonna minuit et le chien se mit à hurler dans la cour.

Aussitôt, Angélique entendit le craquement léger d’une porte qui s’ouvre avec précaution, et le frôlement d’une robe sur les marches de l’escalier. Elle frissonna, puis, se levant comme si elle avait été poussée par un ressort, elle murmura avec terreur :

— La voici ! Elle est venue ! et avec elle tous les démons qui aiment le meurtre !

Un coup fut aussitôt frappé dans sa porte, et d’une voix qui s’efforçait en vain de paraître assurée, elle dit d’entrer.

VI.

Fanchon ouvrit la porte, fit une révérence et introduisit la Corriveau qui s’avança d’un pas ferme et se trouva bientôt en face d’Angélique.

Les deux femmes se regardèrent instinctivement, curieusement, profondément, comme pour surprendre leurs plus intimes pensées. Elles se devinèrent et comprirent qu’elles pouvaient compter l’une sur l’autre, pour le mal sinon pour le bien.

Ce fut un pacte entre elles, avant qu’une parole fut prononcée, et les esprits mauvais qui les possédaient se serrèrent la main.