peu trop impérieuse. Je vous ai promis qu’elle partirait de Beaumanoir, et elle en partira.
— Quand partira-t-elle ? Où ira-t-elle ?
— Dans quelques jours ; elle viendra à la ville. Elle pourra y vivre dans un complet isolement. II ne faut toujours pas que je sois cruel à son égard.
— Non ! mais vous pouvez l’être envers moi ! et vous le serez en effet, si vous n’exercez le pouvoir dont le roi lui-même vous a revêtu.
— Quel pouvoir ? Confisquer ses biens si elle en possède ?
— Non, Bigot, confisquer sa personne ! L’envoyer à la Bastille. Avec une lettre de cachet ça peut se faire vite.
V.
Cette proposition irrita l’Intendant. Angélique l’épiait et elle s’en aperçut :
— J’aimerais mieux y être envoyé moi-même, répliqua-t-il. Au reste, personne excepté le roi ne peut émaner des lettres de cachet. C’est une prérogative royale dont on ne se prévaut que dans l’intérêt de l’État.
— Et dans l’intérêt de l’amour, riposta Angélique, car en France, l’amour est une question d’État. Comme si je ne savais pas, continua-t-elle, que le roi délègue ses pouvoirs et donne des lettres de cachet en blanc à ses courtisans et même aux dames de sa cour ! Est-ce que la marquise de Pompadour n’a pas fait mettre à la Bastille mademoiselle Vaubernier, parce qu’elle avait eu l’audace de sourire au roi ? Voyons, Bigot, je ne soumets pas, après tout, votre sincérité à une si grande épreuve ; ce que je vous demande est peu de chose ; vous ne pouvez pas me refuser…
Elle s’était tout à coup transformée. De la froideur, de la tempête, elle était passée comme par enchantement au soleil et à la chaleur. Bigot repartit :
— Je ne puis pas faire cela ; je ne veux pas le faire.