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Les vaisseaux se croisent dans l’ombre,
Sans se voir au sein du brouillard….
Ainsi toujours, ternes et nues,
J’ai vu les heures tour à tour
Se succéder comme les nues
Que sur des plages inconnues
L’air pesant roule sans retour.
J’ai vécu, sentant qu’en mon âme
Affections, pensers, désirs,
Expiraient sans jeter de flamme,
Ou s’exhalaient en vains soupirs ;
Et je pleure, en pleurant le rêve
De mon printemps évanoui,
Moins les biens goûtés qu’il m’enlève,
Que ceux dont je n’ai pas joui.


V


Mais loin d’ici, regrets stériles !
Homme sans nerf, être insensé,
Qui sur la tombe du passé
Sèmes tes plaintes inutiles,
Que diraient ces vieillards débiles,
Vaisseaux brisés qu’un dernier flot
Va sur l’écueil coucher bientôt,
Si, du milieu de ton voyage,
Ils t’entendaient, loin du rivage,
Chanter déjà l’hymne de deuil,
Comme un poète en sa démence,
Qui, plein de jours, rime d’avance
L’épitaphe de son cercueil :