Page:Karl Marx et Friedrich Engels - Œuvres choisies en deux volumes, tome II, 1955.djvu/92

Cette page n’a pas encore été corrigée

ce mouvement et cette action réciproque universels que nos savants sont empêchés d'y voir clair dans les choses les plus simples. Nous avons vu comment les chèvres mettent obstacle au reboisement de la Grèce; à Sainte Hélène, les chèvres et les porcs débarqués par les premiers navigateurs à la voile qui y abordèrent ont réussi à extirper presque entièrement l'ancienne flore de l'île et ont préparé le terrain sur lequel purent se propager les plantes amenées ultérieurement par d'autres navigateurs et des colons. Mais lorsque les animaux exercent une action durable sur leur milieu, cela se fait sans qu'ils le veuillent, et c'est, pour ces animaux eux mêmes, un hasard. Or, plus les hommes s'éloignent de l'animal, plus leur action sur la nature prend le caractère d'une activité préméditée, méthodique, visant des fins déterminées, connues d'avance.

L'animal détruit la végétation d'une contrée sans savoir ce qu'il fait. L'homme la détruit pour semer dans le sol devenu disponible des céréales ou y planter des arbres et des vignes dont il sait qu'ils lui rapporteront une moisson plusieurs fois supérieure à ce qu'il a semé. Il transfère des plantes utiles et des animaux domestiques d'un pays à l'autre et il modifie ainsi la flore et la faune de continents entiers. Plus encore. Grâce à la sélection artificielle, la main de l'homme transforme les plantes et les animaux au point qu'on ne peut plus les reconnaître. On cherche encore vainement les plantes sauvages dont descendent nos espèces de céréales. On discute encore pour savoir de quel animal sauvage descendent nos chiens, eux mêmes si différents entre eux, et nos races tout aussi nombreuses de chevaux.

D'ailleurs, il va de soi qu'il ne nous vient pas à l'idée de dénier aux animaux la faculté d'agir de façon méthodique, préméditée. Au contraire. Un mode d'action méthodique existe déjà en germe partout où du protoplasme, de l'albumine vivante existent et réagissent, c'est à dire exécutent des mouvements déterminés, si simples soient ils, comme suite à des excitations externes déterminées. Une telle réaction a lieu là ou il n'existe même pas encore de cellule, et bien moins encore de cellule nerveuse. La façon dont les plantes insectivores capturent leur proie apparaît également, dans une certaine mesure, méthodique, bien qu'absolument inconsciente. Chez les animaux, la capacité d'agir de façon consciente, méthodique, se développe à mesure que se développe le système nerveux, et, chez les mammifères,