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Grâce à l'action conjuguée de la main, des organes de la parole et du cerveau, non seulement chez chaque individu, mais aussi dans la société, les êtres humains furent à même d'accomplir des opérations de plus en plus complexes, d'établir et d'atteindre des objectifs de plus en plus élevés. De génération en génération, le travail lui même devint différent, plus parfait, plus varié. A la chasse et à l'élevage s'adjoignit l'agriculture, à celle ci s'ajoutèrent le filage, le tissage, le travail des métaux, la poterie, la navigation. L'art et la science apparurent enfin à côté du commerce et de l'industrie, les tribus se transformèrent en nations et en États, le droit et la politique se développèrent, et, en même temps qu'eux, le reflet à travers l'imagination des choses humaines dans l'esprit de l'homme: la religion. Devant toutes ces formations, qui se présentaient au premier chef comme des produits de l'esprit et qui semblaient dominer les sociétés humaines, les produits plus modestes du travail des mains passèrent au second plan; et cela d'autant plus que l'esprit qui établissait le plan du travail, et déjà à un stade très précoce du développement de la société (par exemple dans la famille primitive), avait la possibilité de faire exécuter par d'autres mains que les siennes propres le travail projeté. C'est à l'esprit, au développement et à l'activité du cerveau que fut attribué tout le mérite de la progression rapide de la civilisation; les hommes s'habituèrent à expliquer leurs actions par leur pensée au lieu de l'expliquer par leurs besoins (qui cependant se reflètent assurément dans leur tête, deviennent conscients), et c'est ainsi qu'avec le temps on vit naître cette conception idéaliste du monde qui, surtout depuis le déclin du monde antique, a dominé les esprits. Elle règne encore à tel point que même les savants matérialistes de l'école de Darwin ne peuvent toujours pas se faire une idée claire de l'origine de l'homme, car, sous l'influence de cette idéologie, ils ne reconnaissent pas le rôle que le travail a joué dans cette évolution.

Comme nous l'avons déjà indiqué, les animaux modifient la nature extérieure par leur activité aussi bien que l'homme, bien que dans une mesure moindre, et, comme nous l'avons vu, les modifications qu'ils ont opérées dans leur milieu réagissent à leur tour en les transformant sur leurs auteurs. Car rien dans la nature n'arrive isolément. Chaque phénomène réagit sur l'autre et inversement, et c'est la plupart du temps parce qu'ils oublient