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chèvres qui broutent les jeunes broussailles avant qu'elles aient eu le temps de pousser ont rendu arides toutes les montagnes de ce pays. Cette « économie de déprédation » des animaux joue un rôle important dans la transformation progressive des espèces, en les obligeant à s'accoutumer à une nourriture autre que la nourriture habituelle, grâce à quoi leur sang acquiert une autre composition chimique et leur constitution physique tout entière change peu à peu, tandis que les espèces fixées une fois pour toutes dépérissent. Il n'est pas douteux que ce gaspillage a puissamment contribué à la transformation de nos ancêtres en hommes. Dans une race de singes, surpassant de loin toutes les autres quant à l'intelligence et à la faculté d'adaptation, cette pratique devait avoir pour résultat un accroissement continuel du nombre des plantes entrant dans leur nourriture ainsi que la consommation de plus en plus de parties comestibles de ces plantes; en un mot, la nourriture devint de plus en plus variée, et, du même coup, les éléments entrant dans l'organisme, créant ainsi les conditions chimiques du passage du singe à l'homme.

Mais tout cela n'était pas encore du travail proprement dit. Le travail commence avec la fabrication d'outils. Or quels sont les outils les plus anciens que nous trouvions? Comment se présentent les premiers outils, à en juger d'après les vestiges retrouvés d'hommes préhistoriques et d'après le mode de vie des premiers peuples de l'histoire ainsi que des sauvages actuels les plus primitifs? Comme instruments de chasse et de pêche, les premiers servant en même temps d'armes. Mais la chasse et la pêche supposent le passage de l'alimentation purement végétarienne à la consommation simultanée de la viande, et nous avons à nouveau ici un pas essentiel vers la transformation en homme. L'alimentation carnée contenait, presque toutes prêtes, les substances essentielles dont le corps a besoin pour son métabolisme; en même temps que la digestion, elle raccourcissait dans le corps la durée des autres processus végétatifs, correspondant au processus de la vie des plantes, et gagnait ainsi plus de temps, plus de matière et plus d'appétit pour la manifestation de la vie animale au sens propre. Et plus l'homme en formation s'éloignait de la plante, plus il s'élevait aussi au dessus de l'animal. De même que l'accoutumance à la nourriture végétale à côté de la viande a fait des chats et des chiens sauvages les serviteurs de l'homme, de même