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impuissante. La condition première de son existence, c’était que les membres d’une gens ou d’une tribu fussent réunis sur le même territoire, qu’ils habitaient exclusivement. Il y avait longtemps que cela avait cessé d’exister. Partout, gentes et tribus étaient mêlées, partout, esclaves, métèques, étrangers vivaient parmi les citoyens. La fixité de la résidence, obtenue seulement vers la fin du stade moyen de la barbarie, était sans cesse rompue par la mobilité et la variabilité du domicile, conditionnées par le commerce, les changements d’activité et la mutation de la propriété foncière. Les membres de la gens ne pouvaient plus s’assembler pour régler leurs propres affaires communes ; seules, des baga­telles comme les solennités religieuses étaient encore assurées tant bien que mal. À côté des besoins et des intérêts que la gens était appelée et habilitée à défendre, la révolution des conditions dans lesquelles on se subvenait et le changement de structure sociale qui en résul­tait avaient fait naître de nouveaux besoins et de nouveaux intérêts qui étaient non seulement étrangers à l’ancien ordre gentilice, mais le contrecarraient de toutes les façons. Les intérêts des groupes de métiers nés de la division du travail, les besoins particuliers de la ville en opposition à la campagne exigeaient des organismes nouveaux ; mais chacun de ces groupes était composé de membres des gentes, des phratries et des tribus les plus diverses, il compre­nait même des étrangers ; ces organismes devaient donc se former en dehors de l’organisation gentilice, à côté d’elle et, par suite, contre elle. — À son tour, dans chaque corps gentilice, ce con­flit des intérêts se faisait sentir ; il atteignait son point culminant dans la réunion de riches et de pauvres, d’usuriers et de débiteurs dans la même gens et la même tribu. — À cela s’ajou­tait la masse de la nouvelle population, étrangère aux corps gentilices, qui pouvait, comme à Rome, devenir une force dans le pays et qui était trop nombreuse pour pouvoir se résorber peu à peu dans les lignées et les tribus consanguines. En face de cette masse, les associations gentilices se dressaient comme des corps fermés, privilégiés ; la démocratie primitive et spon­tanée s’était transformée en une aristocratie odieuse. Enfin l’organisation gentilice était issue d’une société qui ne connaissait pas de contradictions internes, et elle n’était adaptée qu’à une société de cette na­tu­re. Elle n’avait aucun moyen de coercition, sauf l’opinion publique.