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IX

BARBARIE ET CIVILISATION

Nous avons maintenant suivi la dissolution de l’organisation gentilice dans trois grands exemples particuliers : chez les Grecs, les Romains et les Germains. Examinons, pour finir, les conditions économiques générales qui, dès le stade supérieur de la barbarie, sapèrent l’organisation gentilice de la société et l’éliminèrent tout à fait avec l’avènement de la civilisation. Ici Le Capital de Marx nous sera tout aussi nécessaire que le livre de Morgan. Née au stade moyen, continuant à se développer au stade supérieur de l’état sauvage, la gens, autant que nos sources nous permettent d’en juger, atteint son apogée au stade inférieur de la barbarie. C’est donc par ce stade de développement que nous commencerons.

Ici, où les Peaux-Rouges d’Amérique devront nous servir d’exemple, nous trouvons l’organisation gentilice complètement élaborée. Une tribu s’est divisée en plusieurs gentes, généralement en deux ; chacune de ces gentes primitives se subdivise, avec l’accroissement de la population, en plusieurs gentes-filles, vis-à-vis desquelles la gens-mère fait office de phratrie ; la tribu elle-même se divise en plusieurs tribus et, dans chacune d’elles, nous retrou­vons en grande partie les anciennes gentes ; une confédération unit, au moins dans certains cas, les tribus parentes. Cette organisation simple satisfait complètement aux conditions sociales dont elle est issue. Elle n’en est que le groupement propre et spontané ; elle est capa­ble de régler tous les conflits qui peuvent naître dans une société organisée de la sorte. Les conflits extérieurs, c’est la guerre qui les résout ; elle peut se terminer par l’anéantissement de la tribu, mais jamais par son asservissement. La grandeur, mais aussi l’étroitesse de l’organi­sation gentilice, c’est qu’elle n’a point de place pour la domination et la servitude. À l’inté­rieur, il n’y a encore nulle différence entre les droits et les devoirs ; pour l’Indien, la question de savoir si la participation aux affaires publiques, à la vendetta ou autres pratiques expiatoi­res est un droit ou un devoir, ne se pose pas ; elle lui paraîtrait aussi absurde que de se demander si manger, dormir, chasser est un droit ou un