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Cinquante ans après la mort de Charlemagne, l’empire franc, incapable de résister, gisait aux pieds des Normands, tout comme l’empire des Romains, quatre cents ans plus tôt, aux pieds des Francs.

Et non seulement l’impuissance extérieure, mais aussi l’ordre, ou plutôt le désordre social intérieur, étaient presque les mêmes. Les paysans francs de condition libre étaient placés dans une situation analogue à celle de leurs prédécesseurs, les colons romains. Ruinés par les guerres et les pillages, ils avaient dû se mettre sous la protection de la noblesse nouvelle ou de l’Église, puisque le pouvoir royal était trop faible pour les protéger ; mais cette protection, il leur fallut l’acheter chèrement. Comme jadis les paysans gaulois, ils durent transférer la propriété de leur terre à leur suzerain qui la leur concédait comme tenure, sous des formes variées et variables, mais toujours contre prestation de services et redevances ; une fois assujettis à cette forme, de dépendance, ils perdirent aussi, peu à peu, leur liberté personnelle ; au bout de quelques générations, ils étaient déjà serfs, pour la plupart. Avec quelle rapidité se produisit le déclin de la paysannerie, c’est ce que montre le polyptyque d’Irminon , registre cadastral de l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés (alors près Paris, maintenant dans Paris même). Sur les vastes terres de cette abbaye, disséminées aux alentours, il y avait encore, au temps de Charlemagne, 2 788 économies domestiques, presque exclusivement des Francs aux noms germaniques. Parmi eux, 2 080 colons, 35 lites (1), 220 esclaves et seulement 8 sujets (Hintersassen) libres La pratique selon laquelle le suzerain se faisait transférer com­me propriété la terre du paysan et ne lui en rendait que la jouissance viagère, cette coutume que Salvien déclarait impie, était maintenant pratiquée généralement par l’Église contre les paysans. Les corvées, dont l’usage se répandait de plus en plus, avaient eu leur modèle dans les angaries romaines, services forcés au profit de l’État, comme dans les services imposés aux Germains membres de la communauté de marche pour la construction de ponts et de routes et autres besoins d’intérêt général. En apparence, la masse de la population était donc tout à fait revenue à son point de départ, au bout de quatre cents ans.

Mais cela ne prouvait que deux choses : d’une part, que l’organisation sociale et la répartition de la propriété dans l’empire