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dans la gueusaille (verlumpt) (compa­rables aux poor whites des États ci-devant esclavagistes d’Amérique). Le christianis­me est tout à fait innocent de la disparition progressive de l’antique esclavage. Il l’a pratiqué pendant des siècles dans l’Empire romain et, plus tard, il n’a jamais empêché le commerce d’esclaves auquel se livraient les chrétiens, ni celui des Allemands dans le Nord, ni celui des Vénitiens en Méditerranée, ni, plus tard encore, la traite des nègres. L’esclavage ne payait plus, et c’est pourquoi il cessa d’exister. Mais l’esclavage agonisant laissa son dard empoison­né ; le mépris du travail productif des hommes libres. Là était l’impasse sans issue dans laquelle le monde romain était engagé. L’esclavage était impossible au point de vue économi­que ; le travail des hommes libres était proscrit au point de vue moral. Celui-là ne pouvait plus, celui-ci ne pouvait pas encore être la base de la production sociale. Pour pouvoir y remédier, il n’y avait qu’une révolution totale.

Dans les provinces, la situation n’était pas meilleure. C’est sur la Gaule que nous avons les données les plus abondantes. Il y existait encore, à côté des colons, de petits paysans libres. Pour s’assurer contre les abus des fonctionnaires, des juges et des usuriers. ils se pla­çaient souvent sous la protection, le patronage d’un homme puissant ; et ce n’étaient pas seulement des individus isolés qui le faisaient, mais des communes entières, si bien que les empereurs, au ive siècle, édictèrent à plusieurs reprises des interdictions à ce sujet. Mais en quoi cela pouvait-il être utile à ceux qui cherchaient protection ? Le patron leur imposait la condition de lui transférer la propriété de leurs terres, moyennant quoi il leur en assurait l’usufruit leur vie durant, — truc dont se souvint la sainte Église et qu’elle imita copieusement au IXe et au Xe siècle pour l’accroissement du royaume de Dieu et de ses propres domaines. Mais à cette époque, vers l’an 475, Salvien, évêque de Marseille, tonne encore, indigné, contre un pareil vol, et raconte que l’oppression des fonctionnaires et des grands propriétaires fonciers romains est devenue si pesante que beaucoup de « Romains » cherchaient refuge