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son pire oppres­seur. Les provinces avaient anéanti Rome ; Rome même était devenue une ville de province com­me les autres, — privilégiée, mais non plus souveraine, — non plus centre de l’Empire univer­sel, non plus même siège des empereurs et sous-empereurs qui résidaient à Constantinople, à Trèves, à Milan. L’État romain était devenu une machine gigantesque, com­pli­quée, exclusivement destinée à pressurer les sujets. Impôts, corvées, prestations de toutes sortes enfonçaient la masse de la population dans une misère toujours plus profonde ; l’oppres­sion était poussée jusqu’à l’intolérable par les exactions des gouverneurs, des collec­teurs d’impôts, des soldats. Voilà où avaient abouti l’État romain et son hégémonie mondiale : celui-ci fondait son droit à l’existence sur le maintien de l’ordre à l’intérieur, et sur la protection contre les Barbares à l’extérieur. Mais son ordre était pire que le pire des désor­dres, et les Barbares, contre lesquels il prétendait protéger les citoyens, étaient attendus par ceux-ci comme des sauveurs.

La situation sociale n’était pas moins désespérée. Dès les derniers temps de la Républi­que, la domination des Romains avait pour but l’exploitation totale des provinces conquises ; l’Empire n’avait pas supprimé cette exploitation, mais, au contraire, il l’avait réglementée. Plus l’Empire déclinait, plus les impôts et les prestations augmentaient, plus les fonction­naires pillaient et pressuraient sans pudeur. Le commerce et l’industrie n’avaient jamais été l’affaire des Romains dominateurs de peuples ; c’est seulement dans l’usure qu’ils avaient surpassé tout ce qui fut avant et après eux. Ce qui existait et s’était maintenu en fait de com­mer­ce sombra sous les exactions des fonctionnaires ; ce qui survécut malgré tout se trouvait en Orient, dans la partie grecque de l’Empire, qui est en dehors de notre sujet. Appauvrisse­ment général, régression du commerce, de l’artisanat, de l’art, dépeuplement, décadence des villes, retour de l’agriculture à un niveau inférieur — tel fut le résultat final de l’hégémonie mondiale romaine.

L’agriculture, branche de production essentielle dans tout le monde antique, l’était redeve­nue plus que jamais. En Italie, les immenses domaines (latifundia) qui, depuis la fin de la République, couvraient presque tout le territoire, avaient été exploités de deux façons. soit en pâturages, où la population était