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Mais à cette époque commence aussi l’offensive générale des Germains sur toute la ligne du Rhin, de la frontière fortifiée romaine et du Danube, depuis la mer du Nord jusqu’à la mer Noire, — preuve directe de l’accroissement continuel et de la force expansive de la population. La lutte dura trois cents ans, pendant lesquels tout le groupe principal des peu­ples gothiques (à l’exception des Goths scandinaves et des Burgondes) s’ébranla en direction du Sud-Est, formant l’aile gauche de la grande ligne d’attaque dont les Hauts-Allemands (Herminones) qui s’avancèrent le long du Haut-Danube, occupaient le centre, et dont l’aile droite était formée par les Istévones, maintenant appelés Francs, qui progres­saient le long du Rhin ; aux Ingévones échut la conquête de la Bretagne. À la fin du Ve siècle, l’Empire romain affaibli, exsangue et impuissant était grand ouvert aux envahisseurs germains.

Nous étions précédemment au berceau de l’antique civilisation grecque et romaine. Nous voici maintenant auprès de son cercueil. Sur tous les pays du bassin méditerranéen, le rabot niveleur de l’hégémonie mondiale romaine avait passé, et cela pendant des siècles. Partout où le grec n’opposait point de résistance, toutes les langues nationales avaient dû céder la place à un latin corrompu ; il n’y avait plus de différences nationales, plus de Gaulois, d’Ibères, de Ligures, de Noriques ; ils étaient tous devenus Romains. L’administration romaine et le droit romain avaient partout détruit les anciens liens consanguins et, du même coup, les derniers vestiges d’activité locale et nationale autonome. L’appartenance au monde romain, qualité de fraîche date, n’offrait point de compensation : elle n’exprimait pas une nationalité, mais seulement l’absence de nationalité. Les éléments de nations nouvelles existaient partout ; les dialectes latins des différentes provinces se différenciaient de plus en plus ; les frontières naturelles, qui avaient fait autrefois de l’Italie, de la Gaule, de l’Espagne et de l’Afrique des terri­toi­res autonomes, existaient encore et se faisaient toujours sentir. Mais nulle part n’exis­tait la force capable de forger, avec ces éléments, de nouvelles nations. Nulle part il ne restait trace d’une capacité de développement, d’une force de résistance et, moins encore, d’un pouvoir créateur. L’énorme masse humaine de l’énorme territoire n’avait qu’un seul lien qui l’unît : l’État romain, et celui-ci, avec le temps, était devenu son pire ennemi,