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Si cette hypothèse est juste, le passage précité ne prouve donc rien du tout quant à la condition des Romaines libres, et il ne peut pas davantage être question d’une obligation pour elles de se marier à l’intérieur de la gens.

L’expression enuptio gentis ne se présente que dans ce seul passage et ne reparaît plus dans toute la littérature romaine ; le mot enubere (se marier au dehors) ne se retrouve que trois fois, également chez Tite-Live, et ne s’applique pas alors à la gens. L’idée fantaisiste selon laquelle les Romaines n’auraient pu se marier qu’à l’intérieur de la gens doit son existence à ce seul passage. Mais elle ne tient pas debout. Car de deux choses l’une : ou bien le passage se rapporte à certaines restrictions valables pour des affranchies, et dans ce cas il ne prouve rien pour les femmes de condition libre (ingenuae) ; ou bien il se rapporte égale­ment aux femmes libres, et alors il prouve, bien au contraire, que la femme, en règle géné­rale, se mariait en dehors de sa gens, mais que, par son mariage, elle passait dans la gens du mari ; il témoigne donc contre Mommsen, et pour Morgan.]

Près de trois cents ans encore après la fondation de Rome, les liens gentilices, étaient si forts qu’une gens patricienne, celle des Fabiens, put, avec le consentement du Sénat, entre­pren­dre à son propre compte une expédition contre la ville voisine de Véies. Trois cent six Fabiens seraient partis en guerre et tous auraient été tués dans une embuscade ; un seul survivant, un jeune garçon, aurait perpétué la gens.

Dix gentes formaient, comme nous l’avons dit, une phratrie, qui s’appelait ici curie et qui avait des attributions publiques plus importantes que la phratrie grecque. Chaque curie avait ses pratiques religieuses, ses sanctuaires et ses prêtres à elle ; ces derniers, dans leur ensem­ble, formaient un des collèges sacerdotaux romains. Dix curies constituaient une tribu qui, à l’origine, avait sans doute, comme les autres tribus latines, un chef élu — commandant d’armée et grand prêtre. L’ensemble des trois tribus formait le peuple romain, populus romanus.

Nul ne pouvait donc faire partie du peuple romain s’il n’était membre d’une gens et, par elle, d’une curie et d’une tribu. Voici quelle fut la première constitution de ce peuple : les affaires publiques furent d’abord gérées par le Sénat et — Niebuhr l’a fort bien vu le premier — ce Sénat était composé des