Page:Karl Marx et Friedrich Engels - Œuvres choisies en deux volumes, tome II, 1955.djvu/291

Cette page n’a pas encore été corrigée

ni argent, ni avance, ni dette. C’est pourquoi la domination financière, toujours plus florissante et plus étendue, de la noblesse élabora aussi un nouveau droit coutumier pour protéger le créancier contre le débiteur, pour consacrer l’exploitation du petit paysan par le possesseur d’argent. Tous les champs de l’Attique étaient hérissés de stèles hypothécaires, sur lesquelles il était inscrit que ce bien-fonds était engagé à un tel, pour la somme de tant. Les champs qui n’étaient pas ainsi marqués avaient déjà pour la plupart été vendus pour non-paiement d’hypothèques ou d’intérêts, et étaient passés dans la propriété du noble usurier ; le paysan devait s’estimer heureux si on lui permettait d’y rester comme fermier et de vivre d’un sixième du produit de son travail, tandis qu’il devait payer les cinq sixièmes comme fermage à son nouveau maître. Il y a plus : si le produit de la vente du fonds ne suffisait pas à couvrir la dette, ou si cette dette avait été contractée sans être assurée par un gage, le débiteur devait vendre ses enfants comme esclaves à l’étranger, pour rembourser le créancier. La vente des enfants par leur père — tel fut le premier fruit du droit paternel et de la monogamie ! Et si le vampire n’était pas encore repu, il pouvait vendre comme esclave son débiteur lui-même. Voilà quelle fut la suave aurore de la civilisation chez le peuple athénien.

Auparavant, quand les conditions d’existence du peuple répondaient encore à l’organisa­tion gentilice, un tel bouleversement était impossible ; et voilà qu’il s’était produit, on ne savait comment. Revenons pour un instant à nos Iroquois. Chez eux, ne se pouvait concevoir un état de choses tel qu’il s’était imposé désormais aux Athéniens, pour ainsi dire sans leur concours et sûrement contre leur volonté. Là-bas, la façon d’année en année toujours identi­que à elle-même, de produire les choses nécessaires à la vie, ne pouvait jamais susciter de pareils conflits, imposés comme du dehors, ne pouvait provoquer l’antagonisme entre riche et pauvre, entre exploiteurs et exploités. Les Iroquois étaient encore fort loin de dominer la nature, mais, dans les limites naturelles qui leur étaient données, ils étaient maîtres de leur propre production. À part les mauvaises récoltes dans leurs petits jardins, l’épuisement des ressources de leurs lacs et de leurs fleuves en poisson, de leurs forêts en gibier, ils savaient ce que pouvait leur rapporter leur façon de se