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et qui fut seulement tempérée plus tard par l’intérêt. La constitution gentilice à son apogée, telle que nous l’avons vue en Amérique, impliquait une production tout à fait em­bryon­naire et, par suite, une population extrêmement clairsemée sur un vaste territoire, donc un asservis­se­ment presque complet de l’homme à la nature extérieure qui se dresse devant lui en étran­gère et qu’il ne comprend pas, asservissement qui se reflète dans ses puériles repré­sen­tations religieuses. La tribu restait pour l’homme la limite, aussi bien en face de l’étranger que vis-à-vis de soi-même : la tribu, la gens et leurs institutions étaient sacrées et intangibles, constituaient un pouvoir supérieur donné par la nature, auquel l’individu restait totalement soumis dans ses sentiments, ses pensées et ses actes. Autant les hommes de cette époque nous paraissaient imposants, autant ils sont indifférenciés les uns des autres, ils tiennent encore, comme dit Marx, au cordon ombilical de la communauté primitive. La puissance de cette communauté primitive devait être brisée — elle le fut. Mais elle fut brisée par des influen­ces qui nous apparaissent de prime abord comme une dégradation, comme une chute origi­nelle du haut de la candeur et de la moralité de la vieille société gentilice. Ce sont les plus vils intérêts — rapacité vulgaire, brutal appétit de jouissance, avarice sordide, pillage égoïste de la propriété commune — qui inaugurent la nouvelle société civilisée, la société de classes ; ce sont les moyens les plus honteux — vol, violence, perfidie, trahison — qui sapent l’ancienne société gentilice sans classe, et qui amènent sa chute. Et la société nouvelle elle-même, pendant les deux mille cinq cents ans de son existence, n’a jamais été autre chose que le développement de la petite minorité aux frais de la grande majorité des exploités et des opprimés, et c’est ce qu’elle est de nos jours, plus que jamais.


IV

LA GENS GRECQUE


Dès les temps préhistoriques, les Grecs comme les Pélasges et d’autres peuples congé­nères étaient déjà constitués selon la même série organique que les Américains : gens, phratrie, tribu, confédération de tribus. La phratrie pouvait faire défaut, com-