Page:Karl Marx et Friedrich Engels - Œuvres choisies en deux volumes, tome II, 1955.djvu/260

Cette page n’a pas encore été corrigée

et au regard mental de l’homme. Qu’importaient la bonne réputation d’honnêteté, et l’honorable privilège corporatif transmis de génération en génération, au jeune homme qu’attiraient les richesses des Indes, les mines d’or et d’argent du Mexique et de Potosi ? Ce fut l’époque de la chevalerie errante de la bourgeoisie. Elle eut aussi son romantisme et ses extases amoureuses, mais sur un pied bourgeois et avec des buts qui, en dernière analyse, étaient bourgeois aussi.

Et c’est ainsi que la bourgeoisie ascendante, en particulier celle des pays protestants où l’état de choses établi fut plus qu’ailleurs ébranlé, admit de plus en plus, pour le mariage aussi, la liberté des contractants et la pratiqua de la manière ci-dessus décrite. Le mariage resta mariage de classe, mais, au sein de leur classe, on accorda aux intéressés un certain degré de liberté dans le choix. Et sur le papier, dans la théorie morale comme dans la descrip­tion poétique, rien ne fut établi plus inébranlablement que l’immoralité de tout mariage qui n’est point fondé sur un amour sexuel réciproque et sur l’accord vraiment libre des époux. Bref, le mariage d’amour fut proclamé droit de l’homme, et non seulement droit de l’homme , mais aussi et par exception droit de la femme.

Mais ce droit de l’homme différait sur un point de tous les autres prétendus Droits de l’Homme. Tandis que ceux-ci, dans la pratique, restaient l’apanage de la classe dominante, de la bourgeoisie, et que, directement ou indirectement, on leur portait atteinte pour la classe opprimée, le prolétariat, l’ironie de l’histoire s’affirme ici, une fois de plus. La classe domi­nan­te reste dominée par les influences économiques que l’on sait ; aussi n’offre-t-elle qu’ex­cep­tion­nellement des cas de mariages conclus en toute liberté, tandis que dans la classe opprimée, comme nous l’avons vu, ces mariages vraiment libres sont la règle.

Pour que l’entière liberté de contracter mariage se réalise pleinement et d’une manière générale, il faut donc que la suppression de la production capitaliste et des conditions de propriété qu’elle a établies ait écarté toutes les considérations économiques accessoires qui maintenant encore exercent une si puissante influence sur le choix des époux. Alors, il ne restera plus d’autre motif que l’inclination réciproque.