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que vous l’ordonnez, telle je veux tou­jours être ; celui que vous me donnez pour mari, Seigneur, c’est à lui que je veux me fiancer. » Il ne vient même pas à l’esprit de Kriemhild que son amour puisse somme toute entrer en ligne de compte. Gunther recherche en mariage Brunhild, Etzel recherche en mariage Kriemhild, sans les avoir jamais vues ; de même dans Gutrun : Sigebant d’Irlande recherche en mariage Ute la Norvégienne, Hetel d’Hegelingen recherche en mariage Hilde d’Irlande, enfin Siegfried de Morland, Hartmut d’Ormanien et Herwig de Zélande recherchent en mariage Gutrun. Et dans ce dernier cas seulement, la femme, de plein gré, se décide pour le troisième prétendant. En général, la fiancée du jeune prince est choisie par les parents de celui-ci, s’ils vivent encore, ou sinon par lui-même avec l’assentiment des grands feudataires, qui ont en tout cas voix importante au chapitre. D’ailleurs, il ne peut pas en être autrement. Pour le chevalier ou le baron, tout comme pour le prince lui-même, le mariage est un acte politique, une possibilité d’accroître sa puissance par des alliances nouvelles ; c’est l’intérêt de la maison qui doit décider, non les préférences de l’individu. Dans ces conditions, comment l’amour pourrait-il dire le dernier mot sur la conclusion du mariage ?

Il n’en allait pas autrement pour le bourgeois des corporations, dans les villes du Moyen Age. justement les privilèges qui le protégeaient, les règlements restrictifs des corporations, les lignes de démarcation artificielles qui le séparaient légalement, ici des autres corpora­tions, là de ses propres confrères, là encore de ses compagnons et de ses apprentis, rétrécis­saient déjà singulièrement le cercle où il pouvait chercher une épouse assortie. Et, dans ce système embrouillé, ce n’étaient absolument pas les préférences individuelles, mais l’intérêt de la famille qui décidait quelle femme lui convenait le mieux.

Dans l’immense majorité des cas, le mariage resta donc, jusqu’à la fin du Moyen Age, ce qu’il avait été dès l’origine : une affaire que ne réglaient point les intéressés. Au début, on était déjà marié en venant au monde — marié avec tout un groupe de l’autre sexe. Dans les formes ultérieures du mariage par groupe, des conditions analogues existaient probablement, mais le groupe se rétrécissait de plus en plus. Dans le mariage apparié, il est de règle que les mères concertent entre elles le mariage de leurs enfants ; là encore interviennent de façon décisive