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Mais plus l’hétaïrisme traditionnel se modifie, à notre époque, par la production capitaliste, plus il s’y adapte, plus il se transforme en prostitution avouée, et plus son action est démora­lisatrice. Ce sont les hommes qu’il démoralise, beaucoup plus encore que les femmes. La prostitution ne dégrade, parmi les femmes, que les malheureuses qui y tombent, et celles-là même dans une bien moindre mesure qu’on ne le croit communément. Par contre, elle avilit le caractère du monde masculin tout entier. C’est ainsi en particulier qu’un état de fiançailles prolongé est, neuf fois sur dix, une véritable école de préparation à l’infidélité conjugale.

Nous marchons maintenant à une révolution sociale dans laquelle les fondements écono­mi­ques actuels de la monogamie disparaîtront tout aussi sûrement que ceux de son complé­ment, la prostitution. La monogamie est née de la concentration des richesses importantes dans une même main — la main d’un homme —, et du désir de léguer ces richesses aux enfants de cet homme, et d’aucun autre. Il fallait pour cela la monogamie de la femme, non celle de l’homme, si bien que cette monogamie de la première ne gênait nullement la polygamie avouée ou cachée du second. Mais la révolution sociale imminente, en transformant en propriété sociale à tout le moins la partie de beaucoup la plus considérable des richesses permanentes qui se peuvent léguer : les moyens de production, réduira à leur minimum tous ces soucis de transmission héréditaire. La monogamie, étant née de causes économiques, disparaîtra-t-elle si ces causes disparaissent ?

On pourrait répondre, non sans raison : elle disparaîtra si peu que c’est bien plutôt à dater de ce moment qu’elle sera pleinement réalisée. En effet, avec la transformation des moyens de production en propriété sociale, le travail salarié, le prolétariat disparaîtront eux aussi ; donc, du même coup, la nécessité pour un certain nombre de femmes (nombre que la statistique permet de calculer) de se prostituer pour de l’argent. La prostitution disparaît ; la monogamie, au lieu de péricliter, devient enfin une réalité, — même pour les hommes.

La condition des hommes sera donc, en tout cas, profondément transformée. Mais celle des femmes, de toutes les femmes, subira, elle aussi, un important changement. Les moyens de production passant à la propriété commune, la famille conjugale